[Preambule] Vampire et démon : le côté obscur de la force

[HJ : rencontre de Lirana et Aelyk sur le fameux champs de bataille, après l'évacuation de Shirim et Seth par la magicienne, la veille du début de jeu]
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Ah mais c’est pas vrai !
Eh ben si.
Ah bah pour se faire démonter, ils se sont pas raté les bougres…

Lirana dépassa le premier cadavre en reniflant de mépris. Encore heureux que quelques uns s’en étaient tirés sinon elle aurait vraiment perdu son temps. Et ça, ça n’était vraiment pas possible.
La jeune femme continua à avancer moitié courbée et s’arrêtait de ci, de là, pour fouiller les dépouilles. Ils étaient bel et bien morts ceux là, alors autant se servir. La pêche fut plutôt mauvaise et elle n’en tira que deux ou trois dagues pas trop mauvaises dont elle pourrait se débarrasser sur le premier venu.

En parlant du loup !

Lirana s’aplatit entre deux elfes moitié calcinés et recula jusqu’à se cacher derrière une souche noueuse dont l’arbre courbé la dissimulait de ses feuilles pendantes.
Impossible de savoir si elle avait été repérée !
Patiente, elle attendit un peu et observa l’homme qui s’avançait, il semblait se diriger droit vers le tas de cadavres. Son cœur vide battit plus vite dans sa poitrine humaine, avec un peu de chance ce serait un ange… Non. Rien qu’un homme.
Déçue, elle ne relâcha pas pour autant sa vigilance. Que fabriquait-il ici ?
Il était seul, et le peloton était déjà passé pour constater l’échec de la mission -désespérée- d’infiltration. Un retardataire ? Peu probable.
Alors un pillard, comme elle, qui venait se servir sur les corps abandonnés ?
Une autre hypothèse était envisageable mais pas recommandée pour l’espérance de vie de l’archer.

Lirana se redressa doucement et se montra à demi, une dague dans la main, prête à la lancer sur le grand inconnu ; elle ne quittait pas l’arc noir des yeux. Au moindre geste suspect, ses pupilles rougeoiraient.
Elle l’apostropha d’une voix menaçante :

« Kazyuka ou des Royaumes ? »

Quelle horreur...

Il se répétait ces deux mots en boucle depuis que ses yeux de jais s'étaient posés sur ce funèbre spectacle.

Quelle horreur...

La réalité de la guerre le frappa de plein fouet. Jusqu'à présent, tout ceci lui paraissait loin, lui qui n'avait connu que les bandits de grands chemins et les cibles d'entraînement. Jamais il n'avait vu quelque chose d'aussi abject.

Mais qui peut bien perpétrer de tels actes?

Mû par une force invisible, il s'avança sur le champ de bataille, luttant pour ne pas vider ses intestins sur le sol désormais pourpre. Aucun survivant. Tous morts. Tous.
Etait-ce l'œuvre d'un Reänte, ces fameux groupes exterminateurs dont il avait entendu parler, là-bas, dans l'Ouest ? Il semblait bien que seuls les sbires de la Sans Nom pouvaient commettre d'aussi horribles actions.
Aelyk espérait en ce moment que sa mère et sa sœur avaient connu plus digne fin.

Il s'arrêta soudain, car il lui semblait avoir aperçu quelque chose qui bougeait, là-bas, près d'une vieille souche toute noueuse. Il plissa les yeux. Et sursauta lorsque derrière la souche se redressa à-demi une silhouette.
Son cœur manqua un battement.

Il était piégé. S'il dégainait son arc, la dague qu'elle serrait dans son poing finirait fiché dans sa poitrine, il n'en fallait pas douter. Ou pire, si c'était une magicienne du Reänte venue finir le travail ? Elle n'aurait même pas à se servir de son arme pour l'abattre. Il posa sa main sur la dague, à sa ceinture, plus pour se rassurer qu'autre chose.
Ce faisant, il se maudissait lui-même de sa stupidité.

Quel idiot! Non mais quel idiot ! Qui t'as appris à t'avancer comme ça, à découvert, sans moyen de défense, sur un terrain inconnu où gisent des cadavres ! idiot ! idiot !

Ces pensées furent interrompues par une voix sèche et inquiétante, qui émanait de la silhouette. Une silhouette qui se révéla être une femme. Humaine à première vue -en tout cas ni Fée, ni Ange, ni Vampire-, toute de sombre vêtue.

"Kazyuka ou des Royaumes ?"

Et si c'était vraiment une Kazyuka ? Elle le tuerait à coup sûr.
Que devait-il répondre ? Fuir était impossible. Répondre par la même question ne mènerait-à rien -ou peut-être à sa perte ?
De toutes façons, il n'avait rien à perdre.
Il prit une grande inspiration et lâcha, d'une voix qu'il s'efforçait de maintenir, mais dont le tremblement trahissait son angoisse :

"Des Royaumes, assurément."

Il crispa plus fort sa main sur l'ivoire de sa dague.

Avec contrariété, Lirana baissa le bras jusqu’à ne plus menacer le nouveau venu de sa dague dernièrement acquise. Elle ne quitta pas pour autant l’homme du regard. Mentait-il ? C’était peu probable. Les Kazyuka se déplacent par Rëante, et non seuls, et encore moins sur un ancien champs de bataille.

« Dommage, j’aurais préféré un Kazyuka. »

Si ça avait été le cas, avec un peu d’insistance, elle l’aurait convaincu de la guider en pays ennemi et alors elle n’aurait pas eu besoin de ces boulets de rescapés.
Lirana reprit la parole d’une voix dure :

« Qui es-tu ? Que fais-tu ici ? »

Il n’était peut-être pas Kazyuka, mais puisqu’il l’avait vue, elle ne pouvait pas se permettre de le laisser partir raconter partout ce qu’il l’avait vue. S’il était espion ou le devenait – et quel que soit son côté – ça ne l’arrangeait pas du tout. Et elle saurait éviter ce genre de désagréments.

Ouf.

Aelyk avait eu de la chance. Cette femme n'était apparemment pas originaire de Kazyuk. Pour preuve : elle avait enfin abaissé son arme. Néanmoins, l'archer restait sur ses gardes. Elle pouvait toujours le surprendre, par une arme ou par un sort.

Quoi ?! Qu'avait-elle dit ? Qu'elle aurait préféré un Kazyuka ?

Probablement pour le tuer. Du moins, j'espère !

Sur ces entrefaites survint une autre question. Légitime, certes, mais Aelyk n'était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. D'autant plus qu'il pourrait dégainer sa dague en un éclair, à présent qu'il la tenait fermement.

"Je pourrais vous -enfin TE poser la même question. Tu pilles les cadavres, c'est ça ? Prends ce que tu veux, je n'en ai rien à fiche de toutes façons."

[HJ : avant 17h et plus beau post que le dernier pour me faire pardonner d'hier soir !]


Un petit rire s’échappa de sa gorge humaine. Evidemment qu’elle allait prendre ce qu’elle voulait ! Il n’insinuait quand même pas qu’elle avait besoin de sa permission !? Elle ne démentit pas l’accusation et haussa les épaules, ceux qui étaient tombés n’avaient plus besoin de leurs affaires, pourquoi se gênerait-elle ? Et si ça le dégoûtait et bien tant mieux.

« On peut dire ça. Mais ils n’ont pas grand chose d’utiles sur eux, c’est dommage. A mon avis je suis pas la première à passer… »

D’autres « recycleurs » avaient dû se servir ces derniers jours, peut-être même que le peloton qui était passé et ayant reconnu l’échec de la troupe avait contribué à l’allégement des cadavres. Des soldats servant la même cause se pillant les uns les autres… elle imaginait très bien la scène qu’elle n’avait pu voir, forcée de s’éloigner lors de leur passage pour ne pas se faire repérer.
Un sourire ironique se dessina à nouveau sur ses lèvres, voilà une remarque qui pourrait faire réagir l’homme s’il était également un soldat. Une manière comme une autre de le faire parler puisqu’il n’avait pas répondu à sa question.

« … tes copains soldats des Royaumes les ont déjà dépouillés en mon absence. J’en avais entendu de belles sur cette fameuse armée, mais délester ses camarades tombés au lieu de les enterrer, j’avoue que ça me plait bien. »

L’honneur chatouilleux des soldats est d’ordinaire un bon levier, à voir si l’archer en était, et si c’est le cas, s’il saurait se maitriser.
Comme elle avait éludé sa question et qu’il tenait toujours sa dague, elle se chargea d’éviter un prochain et regrettable malentendu.

« Mes affaires ne sont pas les tiennes.
Je te dirai simplement que je ne suis pas non plus Kazyuka et puisque tu es des Royaumes, nous avons pour le moment un ennemi commun. »

"Si vos affaires ne sont pas les miennes cela nous fait donc deux points en commun."

Aelyk n'avait pas mal pris la prétendue "pique" de la jeune femme. Après tout, il n'était pas vraiment un soldat, puisqu'il n'appartenait pas à l'armée du Royaume. Et puis, il avait déserté la garde du Seigneur, alors, question honneur, on pouvait repasser...

"Ce ne sont peut-être pas des soldats, mais d'autres pillards tels que toi, qui sait ? Mais après tout, on ne peut jurer de rien ces temps-ci."

D'ailleurs, il trouvait étrange qu'une jeune femme telle que celle qu'il observait se baladât seule dans ces contrées dangereuses. Pour l'instant il n'avait vu de ses défenses qu'une et une seule dague. Plutôt maigre comme protection.
Surtout qu'à présent qu'il avait pu la contempler de manière approfondie, il était certain qu'elle n'était qu'une simple humaine, ou tout au plus hybride, comme lui.

Cela ne m'étonnerait pas qu'elle soit détentrice de quelque magie...

Dans ce cas, sa solitude paraîtrait plus justifiée. Mais ce n'était pas le moment d'en débattre avec elle.

"Nous avons certes un ennemi commun, du moins le semble t-il. Mais comptes-tu le défaire à toi toute seule ? Cela ne me semble pas très raisonnable..."

Il espérait ainsi en apprendre un peu plus sur les intentions de la jeune femme...

Raté. Soit il n’était pas soldat, soit il n’avait pas d’honneur, soit il voulait juste la contrarier.
Lirana souffla par le nez tout en passant d’une jambe sur l’autre. Sa patience n’était pas immense et il commençait à lui casser les pieds celui-là. Elle n’avait pas que ça à faire ! Sa méfiance aussi légitime soit-elle commençait à lui peser. S’il croyait qu’elle allait passer la journée à lui demander poliment ce qu’il foutait là, il se mettait le doigt dans l’œil. Quoique ce serait plus intéressant qu'elle lui lance sa dague dans l'oeil.
Nerveusement, le démon commença à jouer avec l'arme et à la faire tourner entre ses doigts, ça lui permettait de réfléchir, enfin surtout de ne pas s’enflammer trop vite. Cet espèce de tête de mule d’homme l’encombrait et elle avait rudement envie de l’allumer comme une torche, mais il pouvait être utile. Enfin peut-être. Il avait intérêt !

Elle fronça les sourcils et ne releva pas la remarque de l’inconnu sur son activité dernière de pilleuse. A la place elle le détailla de pied en cap et commença à marcher en un petit arc de cerce autour de lui pour le jauger. Elle n’en apprit guère plus : il était manifestement archer depuis un bail, humain - au moins en partie - et il portait une dague.
Comme il se baladait seul, soit il avait une affaire personnelle à régler, soit il voulait mourir jeûne, soit il était assez balèze dans son domaine pour ne pas craindre la solitude dans ces lieux ravagés par la guerre.
Elle tabla sur la 3ème solution et lui répondit enfin avec un sourire mauvais en baissant le ton :

« Je ne suis pas quelqu’un de raisonnable. J’ai du Kazyuka à tuer, mais pour ça je dois trouver le chemin et entrer discrètement dans ce maudit pays.
Tu comprendras que j’ai pas toute la journée à en parler avec toi.
Alors s’ils sont tes ennemis, toi qui te promène seul dans ce pays en guerre... es-tu également déraisonnable ? »

Elle espérait ne pas se tromper sur son compte et sur des capacités cachées.
En tout cas elle avait compté sur son intelligence : il devrait logiquement comprendre que sa proposition de marché était non seulement sérieuse mais surtout pas lancé à tout hasard. Elle lui avait dévoilé une information d’importance et bien qu’elle ne l’ait pas menacé il allait surement comprendre qu’elle ne pouvait le laisser se balader dans la nature s’il refusait de l’accompagner.

Aelyk avait ENFIN réussi à lui faire cracher le morceau. Mais non sans peine, puisque son interlocutrice présentait tous les signes de l'agacement. N'étant pas stupide, l'archer savait qu'il ne devait pas la faire languir plus longtemps, au risque de rejoindre au sol les témoins muets de leur dialogue.

Mais pouvait-il faire confiance à cette étrangère ? Apparemment il n'avait plus le choix. Ses dernières paroles lui faisaient clairement comprendre qu'il ne pouvait repartir dans le même état qu'auparavant.
De toutes façons il allait être déraisonnable. La question était : de quelle manière ? En tentant un combat, dont l'issue était plus qu'incertaine, ou en livrant à cette femme ses intentions, et, comme elle semblait le sous-entendre, en l'accompagnant..?

L'hésitation ne dura pas longtemps : Aelyk était une vraie andouillette au combat rapproché.

"Il semble bien que la Raison ne soit pas notre fort, à tous les deux. Cependant il est des situations où il vaut mieux l'écouter. Je crains de devoir modifier légèrement mes plans, si ton but est de t'introduire en Kazyuk. Cependant, un Kazyuka reste un Kazyuka, en ou hors de son pays."

Aelyk comptait en effet rejoindre les rangs de l'armée des Royaumes, au Sud-Est, là où ses parentes avaient été envoyées. Mais il allait devoir abandonner cette idée. Et de toutes façons, comme il l'avait dit, son but était de venger des morts, en tuant des responsables. Et comme tous les kazyuks étaient dans le même sac...

Restait à savoir si elle avait réellement sous-entendu qu'il devait l'accompagner. Un voyage à deux serait certes plus sécurisant. Aelyk s'en rendait compte maintenant. Il avait été stupide de partir seul. Et avait surtout eu beaucoup de chance de ne pas se faire tuer avant.
Cependant, si cette femme lui avait menti, et comptait l'égorger dans son sommeil, eh bien.. Il n'avait plus qu'à prier. De toutes façons, elle devait être dans la même incertitude que lui. Tous les deux seuls en territoire hostile.. Elle devait elle aussi s'interroger sur ses capacités de défense, c'était évident, en attestait sa marche devant lui, comme pour le jauger.

Il l'observa. Elle avait cessé de faire les cent pas.

Un bon point pour lui : il était déjà pas stupide. Il avait très bien compris son marché et ses sous-entendus et il avait pris le temps de peser le pour et le contre. Lirana en déduisit qu’il n’était ni impulsif ni effrayé. Patience et courage, ça lui convenait. Et puis ils ne seraient pas trop de deux à réfléchir pour réussir à approcher le Kzyuka.
Encore mieux : théoriquement ils seraient plus que deux pour réussir. Enfin vu l’état des deux autres… Il fallait qu’ils s’en sortent et qu’elle trouve un moyen pour se joindre à eux, elle avait basé tout son plan là-dessus et son énergie des derniers jours. Et perdre son temps l'horripilait vraiment.

« Bien. Puisqu’on est du même avis, c’est parti. »

Le démon rangea sa dague dans une de ses multiples poches, où l’arme rejoignit une de ses multiples consoeurs, et s’approcha de l’archer, les mains vides, pour lui claquer l’épaule en signe d’amitié.
Il parait que les humains font ça entre eux.

« On m’appelle Lirana. Ravie de pas avoir eu à te tuer Machin l'Archer ! »

Ils devaient quitter cet endroit désormais inutile et trop propice aux rencontres. Et elle avait suffisamment accordé de temps à cette rencontre, il fallait qu’elle retourne d’où elle venait et vite. Du moins assez pour ne pas rater le départ des rescapés si la femme magicien qui les avait emmenés réussissait à en récupérer quelque chose. Elle lui fit signe de la suivre et se mit en route d’un pas sûr coupant au travers de la forêt. L’idée étant de ne pas se faire repérer pour les semaines à venir, elle baissa le ton et prit une minute pour le regarder dans les yeux et lui parler franchement.

« Tant que ton but et le mien sont semblables on devrait bien s’entendre. Je n’ai pas de loyauté à t’offrir et tu n’as pas de preuves de ta bonne foi, mais j’estime que nous avons conclu un marché. Et je ne reviens jamais sur un accord de ce genre.
Evidemment si tu fais mine de me trahir, je n’hésiterai pas à rompre notre entente. En attendant tu peux te détendre je ne te tends pas de pièges.»

Aelyk n'eut pas le temps de dire ouf que la jeune femme avait rangé son arme, lui avait claqué l'épaule (pour se la jouer homme viril ?), s'était présentée et avait disparu dans la forêt.
Il se pressa de lui emboîter le pas, et la retrouve arrêtée.
Ses paroles étaient-elles censées être rassurantes ?
Elle semblait le penser.
Aucun des deux n'avait de preuve de sa bonne foi. Ils devaient donc se faire mutuellement confiance, maintenant qu'ils étaient embarquées dans la même galère.

"Très bien. Au fait, on a coutume de m'appeler Aelyk, plus que Machin".

Il ne dit rien de plus, estimant que Lirana, puisque c'était son nom, n'avait besoin de rien de plus.

En repensant aux paroles de Lirana, il douta qu'elle ait vraiment été ravie de ne pas le tuer. Il était même sûr qu'elle s'en serait fait un plaisir, s'il ne l'avait pas poussée à lui révéler -plus ou moins- ce qu'elle faisait ici.
Aelyk n'était habituellement pas du genre "suiveur", mais Lirana semblait savoir où elle allait, et l'archer n'avait donc pas tellement le choix.
En tout cas, ils étaient deux maintenant. Mais deux pour quoi ? Pour s'introduire en Kazyuk et tuer tous ceux qu'ils rencontreraient ? Deux fous oui !
Enfin, il avait bien le temps de voir venir les choses.

Tandis qu'ils s'éloignaient du champ de bataille, et que l'odeur disparaissait petit à petit, Aelyk observa la forêt environnante. Les cîmes des arbres semblaient caresser le soleil, qui d'ailleurs ne pénétrait presque pas sous la frondaison, rendant l'atmosphère humide et fraîche. Aelyk resserra sa cape autour de lui, et se concentra sur Lirana, et sa démarche franche et assurée. Elle savait où elle allait, c'était évident. Il espérait juste qu'elle fasse preuve de prudence -en tout cas, plus que lui !
Il accéléra le pas pour se mettre à sa hauteur, et lança:

"Puis-je en connaître un peu plus sur notre destination ? Ce n'est pas que je ne te fasse pas confiance, puisque nous avons conclu un marché, mais je n'aime pas trop suivre bêtement sans savoir où je vais. Tu me comprends, j'en suis sûr."



[HRP : Désolé mais je vois vraiment rien d'autre pour engager la conversation --"]

« J’aimais bien Machin, moi. »

La jeune femme ne s’arrêta pas bien longtemps. Ils pouvaient discuter tout en avançant. En se frayant un chemin plutôt car cette partie de la forêt était dense et il n’existait pas de réel sentier. Du moins, Lirana avait-elle choisi de s’en écarter un temps afin qu’on ne puisse les pister.

« Gaffe aux branches, il ne faut pas qu’on laisse de traces derrière nous. Il y’a suffisamment eu de passage dans le coin des cadavres comme ça. »

Le démon pouvait se faufiler facilement entre les arbustes dans ce corps humain peu encombrant. Avec agilité, elle écartait les branches, en soulevait certaines, escaladait les troncs couchés, le tout presque silencieusement grâce à l’épais tapis de mousse qui recouvrait cette section de forêt. S’ils étaient assez discrets pour faire perdre leur piste à un éventuel suiveur dans cette partie sauvage des bois ils pourraient ensuite retomber sur un vrai chemin tracé et continuer leur route avec plus de facilités.
Elle vit du coin de l’œil l’homme serrer sa cape contre lui puis se rapprocher pour lui parler. Elle leva un sourcil interrogateur tout en l’écoutant.
Jusqu’où devait-elle le mettre en courant ? Il en savait déjà beaucoup… le plus simple était peut-être de tout lui dire.

« Pour le moment on empêche des pisteurs de nous retrouver. Personne ne doit faire le lien avec le groupe mort de tout-à-l’heure. Après on abandonne la forêt vierge pour un des chemins battus qui traversent cette forêt. Notre objectif c’est de rejoindre au plus tard demain matin la cabane d’une magicienne.
Je l’ai suivi à son insu quand elle a sauvé deux agonisants du champ de bataille. Cette femme ne nous intéresse pas, ce sont les hommes de l’expédition que nous allons rejoindre.
Ils ne le savent pas encore. »

Ils ne devraient pas tarder à se remettre en route.
Le seul hic qui pouvait avoir lieu soit qu’ils succombent à leur blessures dans la maisonnette, mais ils n’avaient pas intérêt !

« Ecoute bien : les rescapés sont ceux d’un groupe envoyé par les Royaumes pour infiltrer le Kazyuk. Leur mission est de se faire passer pour l’ennemi et d’en finir avec la Reine maudite. Personne n’est au courant, évidemment. J’ai moi-même eu du mal à obtenir cette information et je n’ai laissé personne derrière moi qui aurait eu la langue trop bien pendue.
Mon idée était de me joindre à leur groupe mais ces imbéciles sont tombés sur un véritable Rëante et ont été écrasés comme des mouches. »

Ses yeux brillèrent à ce souvenir, ça avait été un spectacle d’une violence délicieuse. Dommage qu’elle n’ait pu y participer, bloquée qu’elle était dans ce corps aux pouvoirs limités.

« Cependant, il semble qu’il y’ait des résistants dans le lot et des chanceux. J’ai suivi la magicienne qui est venu au secours des survivants et les a menées chez elle. Dès qu’ils se remettront en route nous les rejoindrons. »

Elle ne savait pas comment aller en Kazyuk mais comptait sur le fameux groupe pour qu’ils aient un plan établi et précis. Elle serait obligée de s’en remettre à eux, ça ne lui plaisait pas mais tant pis. Elle avait fait son choix et avait saisi l’opportunité de cette mission. Il n’y avait plus qu’à la mener à bien.

« C’est très bien qu’ils aient péri d’ailleurs. Les Royaumes et les Kazyukas les croient morts, ce qui va nous faciliter la tâche. Les premiers ne pourront plus trahir, les seconds se croient à l'abri. »

Lirana ralentit et apprécia le silence qui retombait sur eux.
Elle avait trop parlé et elle se sentait bizarre. Sa langue claqua sur son palais, elle était sèche. Elle avait soif donc ; et elle n’aimait pas ça.
Elle n’aimait pas grand-chose et surtout pas que la carcasse qui l’abritait soit si faible et le lui rappelle si souvent.

« Passe-moi de l’eau. »

Aelyk farfouilla machinalement dans sa cape et tendit à Lirana une gourde, dans laquelle il ne restait plus grand chose d'ailleurs. Il faudrait penser à la remplir le plus tôt possible.
Il était abasourdi par la déclaration qu'il venait d'entendre. Éliminer la Reine Sans Nom ? Mais c'était digne du suicide ! Comment un groupe de dix personnes pouvait-il assassiner la personne la mieux protégée et la plus puissante de ce bas monde ?!
Avaient-ils tous perdus la tête ? Et Lirana la première !

Il se baissa pour esquiver une grosse branche, et fit bien attention que son arc ne se prît pas dans les lianes qui en pendaient. Il remit ses cheveux en arrière avec la paume de sa main.

S'il avait bien entendu, il restait deux rescapés. Plus eux, ça faisait donc quatre. Et encore aurait-il fallu que les blessés survivent à leurs blessures , ou qu'ils soient encore en état de marcher ! Survivre à un Reänte relevait de l'exploit, certes, mais les pouvoirs d'une guérisseuse étaient parfois impuissants face à certaines blessures. Combien de fois sa mère ou sa soeur n'avaient-elles pu sauver des malheureux car leurs blessures étaient trop importantes ?

Y avait-elle seulement songé ?!
Sûrement que oui, elle n'avait pas l'air stupide. Mais alors, qu'avait-elle prévu ? D'attendre qu'ils soient rétablis ?!

Au moins, il savait maintenant où il allait. Tout droit à la mort ! Et dire qu'il ne voulait au départ que rejoindre les rangs de l'armée. Mais dans quoi s'était-il embarqué ? Oh, il n'était pas du genre peureux, ça non. Mais il n'était pas une tête brûlée pour autant ! Feu sa mère lui avait appris à ne pas se lancer dans n'importe quoi sans y avoir préalablement songé. Sauf que, cette fois, il n'avait pas tellement eu le choix. Il la voyait marcher devant lui. Lui était-il possible de dégainer son arc, d'encocher une flèche et de la tirer entre ses deux omoplates (HRP :on dit "scapula" maintenant mais vous auriez pas compris ) avant qu'elle ne se retourne pour lui rendre sa gourde ? Ou, plus simple, de lui planter sa dague, et de fuir le plus loin possible de cette femme qui ne semblait pas consciente de la réalité ? Personne ne retrouverait son corps avant un moment dans cette forêt.

Mais Aelyk savait qu'il ne pouvait pas faire ça. Pas à quelqu'un des Royaumes. Elle lui avait accordé sa confiance, et Aelyk était un homme d'honneur. Il avait conclu un marché : il ne le trahirait pas, et en assumerait les conséquences, quand bien même devraient-elles le mener dans la Citadelle de la Sans Nom.

Il fit toutefois part de ses réserves à son "acolyte", tout en replaçant ses cheveux.

"Mais enfin, heu.. Lirana ! Nous sommes deux, et nous allons rejoindre deux personnes entre la vie et la mort -les Reänte ne sont pas des bleus !, qui ne seront peut-être pas rétablies avant des semaines ! Et tu comptes nous faire arriver chez une guérisseuse, comme des fleurs, leur annoncer que tu les suivais depuis des lustres et que tu souhaites toi aussi t'introduire en Kazyuk pour tuer la Sans Nom ?! Crois-tu vraiment que, dans le cas où ils soient remis sur pieds et qu'ils aient le courage de repartir, ils accepteront de nous laisser venir avec eux ?! Tu m'as déjà dit que tu n'étais pas raisonnable. Mais là, c'est au-delà ! C'est carrément de l'inconscience !"

Ils avaient continué à marcher, bien qu'ils aient ralenti l'allure. Ce faisant, ils étaient arrivés, au détour d'un bosquet de fougères, sur une sorte de sentier.

Lirana récupéra la gourde et la vida d’un trait. Cela lui suffirait pour le moment. Mais il faudrait refaire le plein bientôt, il lui avait semblé passer non loin d’une source lorsqu’elle avait suivi la magicienne, mais n’y avait pas fait trop attention. Elle ne s’inquiétait pas pour autant, elle avait confiance en sa mémoire visuelle, si elle prenait garde à repasser par le même chemin il n’y avait pas de raison pour qu’ils ratent le ruisseau. Et au pire, il y’avait un puits chez la guérisseuse, ils n’auraient qu’à attendre jusqu’au lendemain.
La réaction d’Aelyk la sortit de ses pensées. Elle observa son accolyte d’un air étonné. Au-delà même des mots, ses traits trahissaient sa stupeur. Avait-il peur ? Oui et non. Elle continua de l’observer et l’écouta avec attention. C’était lui qui semblait la jauger à présent. Manifestement il se demandait si elle était folle. Il avait tort. Le démon savait ce qu’elle faisait.
Finalement peut-être qu’il craignait pour sa peau, maintenant qu’il s’était retrouvé dans cette galère. Ma foi, elle était peut-être bien inconsciente : elle n’aurait jamais dû laisser cet humain en vie et lui proposer de venir.

« On dirait que tu es mort de trouille. » lui répondit-elle tranquillement.

Si elle avait su qu’il avait imaginé l’espace d’un instant lui planter une flèche dans le dos, alors oui pour le coup il aurait été mort. Tout court. Heureusement pour Aelyk elle n’avait pas le pouvoir de lire dans les esprits et le débat intérieur de son compagnon lui échappa totalement.
En revanche elle avait bien saisi sa réticence quand à ces beaux projets. Elle allait enfoncer le clou, une fois ou deux mais il ne faudrait pas qu’il la cherche trop non plus. Cette discussion la lassait par avance mais elle retint son agacement et lui répondit d’un ton assuré.

« Ils seront rétablis, en tout cas je suis sure qu’ils sont vivants. Quand je suis partie, la guérisseuse avait commencer ses soins et il n'y en avait lus qu'un d'inconscient.
Et je ne comptais pas vraiment leur présenter la chose ainsi. »

Lirana stoppa soudain et s’aplatit au sol, tous les sens aux aguets. Elle fit signe à Aelyk de ne plus bouger et écouta avec attention. Elle n’était pas sûre d’avoir vraiment entendu quelque chose, mais la prudence était son maître mot. Et puis avec autant de bavardages il ne faudrait pas s’étonner d’une nouvelle rencontre inopportune. Ils venaient de déboucher sur le sentier, il était primordial de s’assurer qu’ils soient seuls. Ils devaient avoir correctement brouillés leurs traces depuis le champ de bataille, du moins l'éspérait-elle.
Désormais le chemin serait aisé mais ils devraient rester observateurs et discrets.
Elle n’entendait plus rien, avec un peu de chance ça n’était qu’une bestiole qui retournait dans son terrier. Elle profita de leur arrêt impromptu pour fixer Aelyk avec attention et le convaincre.

« Pour ce qui est de s’introduire en Kazyuk ils sont notre meilleur chance, vu que leur groupe était préparé et que nous ne le sommes pas. »

Elle ne craignait pas cette mission. D’abord parce qu’elle ne craignait rien. Ensuite parce qu’elle se fichait royalement de la fameuse Reine, qu’elle aurait d’ailleurs trouvée sympathique si elle avait toujours ses ailes, ses pouvoirs et nul besoin de s’infiltrer dans son pays. Enfin, elle devait approcher les gardes de la citadelle, cette foutue ange se trouvait là-bas et elle devait la tuer. Le temps et les échecs qu’elle vivrait pour y arriver ne comptaient pas.
Son regard se fit dur, très dur : c’était aussi simple que ça. S’il voulait passer du rang d’aide à celui d’obstacle, il avait juste à se mettre entre elle et son but. Mais il risquerait de le regrettr !
Emportée par sa mauvaise humeur elle finit son explication d’un ton sec :

« Je n’ai jamais eu l’intention de leur laisser le choix de ma présence. »

Lui, mort de trouille ? Quelle plaisanterie ! C'était un Viserys nom d'un chien ! Dans ses veines coulait le sang des vampires, même s'il ne savait desquels. Son grand-père étant un illustre inconnu, c'est sa grand-mère qui transmit son nom à sa descendance.

Elle lui débitait ses certitudes. Au moins un des deux était convaincu, c'était mieux que rien !
Soudain, elle le fit s'accroupir. Aelyk n'avait rien entendu pour sa part, mais peut-être avait-elle l'ouïe plus fine que la sienne. En tout cas, il avait pris garde à ne pas laisser de traces derrière lui, évitant la terre trop meuble et les fougères, qui pliaient trop facilement sous le poids des pieds.

Puis Lirana se détendit et fixa l'hybride droit dans les yeux.

...

Bigre ! Elle avait l'air déterminée cette fille-là ! Cela dit, il valait mieux l'être ces temps-ci... Un indécis ne faisait pas long feu sur cette terre.
Aelyk espérait juste que son point de vue serait partagé par les "autres". Dont un encore inconscient semblait-il. Au moins n'opposerait-il pas de résistance, en tout cas, pas immédiatement !

"Très bien. Alors, rejoignons la demeure de cette magicienne, et imposons leur notre présence !"

Ils reprirent alors leur marche.

Et de quelle manière l'imposerons-nous, se demanda t-il ? A l'aide de flèches et de dagues ? Contre deux infirmes ? Quel courage !

Aelyk sentit toutefois que la jeune femme était à fleur de peau. Aussi décida t-il d'arrêter de la questionner pour le moment. Et puis, leurs bavardages risquaient d'attirer de mauvaises gens sur leur route.

Il espérait en tout cas arriver bientôt chez la magicienne, puisque sa compagnonne avait eu la délicate attention de vider la gourde, et que sa langue commençait sérieusement à coller à son palais. D'autant plus que la frondaison devenait plus espacée au fur et à mesure de leur progression, et que le soleil tapait sur leurs crânes. Il remit d'ailleurs en place ses cheveux avant de relever sa capuche pour abriter sa tête et ses yeux.
La forêt était remplie de bruits-craquement des feuilles sous les bottes, feulement du vent dans les feuilles, chant du rouge-gorge- et d'odeurs-la terre mouillée, l'humus... Il prit une grande inspiration et plissa les yeux. Il lui semblait voir -oh, à plusieurs dizaines de mètres, heureusement que sa vue était perçante-, un élargissement du sentier, et un éclaircissement notable des arbres.

Il n’avait pas réagi à sa gentille petite provocation, dommage. Du moins, il n’avait rien dit. Mais qu’elle le traite de peureux ne lui avait manifestement pas fait plaisir. C’était le but.
De mauvaise grâce, il avait même accepté son plan aux multiples inconnues et elle ne pouvait le blâmer de ne pas être immédiatement enthousiasmé.
Normalement les blancs devraient bientôt se combler quand ils les auraient rejoints.

C’était bien une fausse alerte puisque Aelyk n’avait rien remarqué non plus. Rassuré mais prudents, ils avaient continué en silence leur cheminement. La forêt vibrait tout entière et bruissait des bruits habituels. Rien n’indiquait qu’ils tomberaient plus tard sur une chaumière dans laquelle vivait une magicienne. Si ce n’était le sentier plus ou moins tracé, qui s’était élargi, on aurait pu croire ces bois encore sauvages et vierges de toute action de l’homme (et espèces apparentées).

Le soleil avait cogné tout l’après-midi et la fraicheur du soir s’était fait attendre. Comme la nuit tombait vite, il valait mieux s’y préparer et ne pas tarder à trouver un endroit propice au bivouac. Cependant Lirana ne souhaitait pas s’arrêter avant de s’être approché de la demeure de la guérisseuse, sans toutefois s’y faire repérer par leurs futurs compagnons. Il valait mieux laisser passer la nuit, repartir au petit matin pour attendre le départ des rescapés.
Très bien, dans ce cas il allait falloir accélérer le mouvement.

« On va presser le pas, histoire de profiter du jour pour faire le plein au ruisseau. Quand on y sera, la magicienne ne sera plus loin. On aura plus qu’à se trouver une planque pour passer la nuit. Et au petit matin on les rattrape dès qu’ils partent.»

Chose dite, chose faite, le démon accéléra le pas tandis que les ombres s’allongeaient derrière eux.
Quelques heures plus tard le bruit de l’eau qui court devint audible pour leurs oreilles. Timing nickel. Lirana s’autorisa un petit sourire. Aelyk devait crever de soif.

L'heure du bivouac enfin. Mais surtout : le bruit de l'eau. Il allait pouvoir se désaltérer. Depuis des heures, qu'ils marchaient comme des forcenés sous un soleil de plomb, et sans une goutte d'eau.
Bien sûr Aelyk aurait pu boire depuis longtemps. Il lui aurait suffi de glacer une de ses flèches et de la faire fondre au soleil. Mais il avait préféré éviter, et ceci pour deux raisons:
La première, c'était qu'agir directement sur une flèche sans tenir en main son arc requérait encore plus de concentration qu'à l'ordinaire.
La seconde, c'est que cet acte n'aurait pas été très discret, et ne serait certainement pas passé inaperçu aux yeux de Lirana ! Et il préférait pour le moment éviter de faire étalage de son don. Qui savait si elle n'appartenait pas à un de ces groupes de fanatiques anti-magie, qui pullulaient un peu partout en Idyll. Des humains dépourvus de magie qui jalousaient secrètement les détenteurs du Pouvoir, et exprimaient leur frustration en haine.

Mais, sans aller jusque là, il préférait se montrer discret.
Il ne voulait également pas montrer à Lirana que sa bouche était plus sèche que les déserts du Sud. Fierté masculine sans doute. Aussi marcha t-il tranquillement vers l'eau bouillonnante, y plongea sa gourde, et la porta à ses lèvres pour n'y prendre qu'une petite gorgée.
Puis une autre. Ensuite, il revissa le bouchon, rangea la gourde et revint vers Lirana qui avait commencé à installer le bivouac au cœur des arbres.
Aelyk balaya l'espace du regard. Aucun pin compagnon(dédicace à Richard, ouais gros!) en vue. Ces arbres étaient très pratiques, car ils offraient un abri sûr tout en permettant de faire un feu sans risque.
Tant pis. Ils allaient se contenter d'un camp plus classique.

Il sentit son ventre gargouiller tout doucement. Il n'avait rien mangé depuis ce matin, et il commençait sérieusement à fatiguer.

"Bon, puisque l'installation semble bien avancée, que dirais-tu de nous mettre en quête de quelque chose à se mettre sous la dent, ce soir ?"

Le jour déclinait en effet lentement, et, s'ils voulaient déguster quelque lapin ou faisan, il fallait partir rapidement à la chasse, avant que ces derniers ne se terrent pour la nuit.
Il dégaina son arc. Cela lui semblait en effet plus logique de chasser de cette manière, plutôt qu'avec les dagues de Lirana. Peut-être avait-elle quelque don avec ces armes, mais Aelyk restait persuadé de l'efficacité d'un trait bien placé.

Lirana finissait de mettre la dernière pierre au cercle qui abriterait le feu.

Aelyk n’ayant pas fait de commentaires, Lirana supposa qu’il était d’accord. Et c’est toujours en silence qu’ils atteignirent l’onde tant désirée. Ils n’avaient fort heureusement pas de fait de rencontres, ni bonnes ni mauvaises.
Si seulement cela pouvait durer lors des semaines à venir !

L’homme revint vers elle alors qu’elle installait le campement : Tandis qu’il remplissait la gourde et se désaltérait, elle avait poussé un peu plus loin hors du chemin pour dégotter un coin tranquille et caché. Elle avait prit garde bien sûr à ne pas laisser de traces et choisir un terrain pas facile d’accès. Les ronces et fougères empêcheraient des promeneurs de s’inviter pour le souper. Certes, ça ne leur faciliterait pas la vie non plus, mais ils s’en accommoderaient pour les quelques déplacements qu’ils auraient à faire.

Comme trouver de la nourriture, puisqu’Aelyl en parlait.
Ils avaient forcément quelques rations sur eux, du moins Lirana supposait que l’homme de l’Ouest ne s’était pas lancé dans un voyage vers le Sud-Est sans prendre de quoi se sustenter, mais il valait mieux les garder pour plus tard car ils n’auraient sans doute pas la chance de toujours avoir une forêt pleine d’animaux et vide d’ennemis pour passer la nuit.

« Ca me va ! J’ai pas mangé depuis un bout de temps. »

Ah oui, tiens, maintenant qu’ils en parlaient, effectivement elle avait la dalle. Il fallait qu’elle fasse attention à se nourrir correctement, cette enveloppe était non seulement fragile mas aussi très sensible au manque. Elle en avait fait l’expérience une fois : au début, elle n’avait pas l’habitude du corps humain - n’empruntant que rarement cette forme - et ses limites l’avait prises au dépourvu. Elle avait failli se retrouver en mauvaise posture, exigeant apparemment trop de ses capacités. Depuis elle faisait grand cas de ses besoins matériels.
Le petit cercle de pierre qu’elle avait érigé était fini, elle fouilla un instant dans ses affaires avant d’en sortir sa gourde. Puis elle se leva avec souplesse et rejoignit son compagnon (d’infortune).

« Je vais la remplir et je te suis, Aelyk. En tant qu’archer tu dois être bon chasseur… ? »

Sitôt son plein d’eau refait et s’être brièvement désaltérée, le démon avait repassé sa gourde en bandoulière et tenait un shaken dans chaque main. Un air triomphant sur les lèvres elle fixa l’homme de l’Ouest de ses yeux sombres, prête à lui emboîter le pas.
Elle ne lançait peut-être pas de flèches, mais ça ne l’empêcherait pas de toucher sa cible. A défaut de tuer sur le coup, le poison qui enduit toujours ses armes empêcherait l’animal d’aller agoniser trop loin.

« Si t’as le choix, j’aime bien le lapin à la broche. »

"Nous verrons, si nous avons la chance d'attraper quelque chose ! Lapin ou pas, personnellement, je m'en contenterai !"

Sur ces mots, il avança d'un grand pas vers l'endroit où les arbres devenaient plus touffus et plus resserrés.
Aelyk était doué à l'arc, à défaut d'être bon pisteur. Depuis qu'il était parti de chez lui, il s'était nourri en alternant auberges et chasse. Lapins, faisans, canards sauvages et bien d'autres encore, dont certains sérieusement immondes.
Aussi ne se pencha t-il pas pour observer d'éventuelles traces que le gibier aurait pu laisser dans la terre humide. De toutes façons il n'aurait pas pu les interpréter.
Il fit comme à son habitude. Il tendit l'oreille, pour essayer de discerner le cri du faisan ou, à défaut, d'un oiseau plus gros qu'un moineau.
Rien. Ils allaient donc se rabattre sur la faune clouée au sol. Un bon lapin ou un gros lièvre bien dodu...

Il continua s'avancer, Lirana sur ses traces, qu'il voyait tourner la tête à droite et à gauche. Tout en faisant, il tira une flèche de son carquois et l'encocha. Puis tout s'enchaîna très vite.
Un crissement de feuilles et un mouvement rapide et furtif sur sa gauche. Il tourna la tête, banda son arc, et lâcha le trait au moment où le lapin surgissait des fougères. Planté. Il s'en était fallu de peu, mais le lapin était bel et bien traversé dans son arrière-train par la flèche de l'hybride. Le pauvre bête essaya tant bien que mal de continuer sa fuite, mais elle ne faisait que battre stupidement des antérieures. Aelyk avait du toucher sa moelle épinière.
L'hybride n'avait pas utilisé son don. Pourtant, il y avait eu recours de nombreuses fois les jours précédents. Il se postait en face d'un terrier (découvert plus ou moins par hasard), bandait son arc, et dirigeait toute son attention sur sa flèche. AU moment où une bête faisait irruption dans son champ de vision, il lâchait le trait, tout en lui donnant un Souffle D'Air. La vitesse de la flèche état alors décuplée - le sifflement qu'elle produisait également-, et Aelyk pouvait plus ou moins la dévier de sa trajectoire en cas d'erreur. Mais, cette-fois-ci, il n'avait pas eu le temps de l'utiliser. Cela ne l'avait pas empêché de faire mouche.
Il dégaina sa dague, s'approcha d'un pas vif et lui trancha la gorge. Puis il le souleva par les oreilles, et le présenta à son acolyte.

"Et voilà notre repas de ce soir" dit-il avec un grand sourire, qui dévoila ses canines.

La technique de chasse de son compagnon d’infortune était pour le moins intéressante. Il ne se souciait pas d’éventuels traces et semblait faire ça… à l’instinct. Si ça avait été elle, Lirana ne s’y serait pas pris de cette façon, mais bon elle n’allait pas non plus tout faire, hein ? Il pouvait se rendre utile aussi !
Etrangement docile, le démon suivit Aelyk sans faire de bruits et à distance raisonnable. Il leur fallait à tous deux un peu de marge pour manœuvrer, surtout à l’homme pour bander son arc rapidement, et elle ne tenait pas à se faire crever un œil aussi bêtement.
A l’affut, Lirana observait la forêt avec attention. Certes, elle laissait Aelyk faire le boulot mais les shakens empoisonnés qu’elle tenait dans ses mains n’étaient pas là pour décorer ; elle les lancerait si elle en avait utilité.

L’archer fit mouche et un petit sifflement d’admiration s’échappa des lèvres de la jeune femme : il l’avait doublement surprise, de par son adresse et sa rapidité. Une lueur de plaisir anticipé dans les yeux elle observa le couteau de l’homme dégoutter de sang sur le pelage brun de l’animal. Appétissant !
Le lapin suspendu au bout d’un bras, Aelyk exhibait fièrement son trophée… et tout autant ses canines. Plutôt pointues… pour un humain.
A nouveau tout se passa très vite, mais cette fois Lirana était le chasseur et Aelyl la proie.

« Vampire !!! Ose t’envoler pour m’échapper !»

Un feulement enragé s’échappa de la gorge de Lirana qui avait bondi de plusieurs mètres en arrière et se tenait presque accroupie, prête à libérer une tension formidable dans ses jambes pour se jeter sur son ennemi. Car Aelyk en était un en cet instant.

Evidemment si le démon avait pris un instant pour réfléchir elle n’aurait jamais réagit ainsi. En général Lirana était vive mais pas idiote. Aelyk n’avait pas grand-chose d’un vampire, la preuve en était que jusqu’à présent cette idée ne l’avait même pas effleurée. D’ailleurs les vampires n’étaient pas les pires créatures d’après elle, puisque les anges tenaient évidemment la première place et que les fées suivaient un peu plus loin. Les vampires étaient des êtres mauvais, malfaisants, cruels et retors : très sympathiques en somme. Aelyk n’avait pour le moment rien montré de tout cela. De plus ils avaient passé un accord et puisqu’il n’était pas en train de la trahir mais bien juste de sourire innocemment en tenant un lapin dans la main, elle n’avait pas de raisons de s’en prendre à lui.
Oui, mais Lirana n’était pas en train de réfléchir. Du tout. En cet instant de folie, la rage était seule maître de ses pensées.
Et c’est ce qui sauva la vie de l’archer.

Car Lirana n’avait pas seulement reculé, elle avait jeté ses shakens sur l’homme et s’apprêtait par réflexe à bondir pour l’égorger. La colère avait fort heureusement cassé l’harmonie de son geste et s’ils étaient tous partis dans la bonne direction, aucun shaken ne s’était figé dans la peau d’Aelyk. L’arbre le plus proche et le lapin avaient reçus les lames au poison mortel à sa place.

Dépité par ce résultat médiocre le démon gronda de mécontentement, et si ses traits enragés n’y suffisaient pas, les derniers bruits qu’elle avait émis auraient suffi à faire douter un observateur attentif de son apparente humanité.

En une fraction de seconde, Lirana était passée de compagnonne à animal enragé. Le changement avait été fulgurant et impressionnant. Elle s'était recroquevillée sur elle même comme un félin, en lâchant d'ailleurs un cri qui s'en rapprochait plus que de l'humain.
Dans le même temps, elle avait lancé ses deux armes sur lui, dans un mouvement si rapide qu'il était presque invisible pour un oeil non entraîné. Mais voilà, celui d'Aelyk l'était, et digne des vampires était son agilité. Il avait cependant mal évalué la vitesse de ces armes, et, avant qu'il n'ait esquissé un geste, les shakens étaient plantés qui dans l'écorce du chêne, qui dans la peau du lapin. Ces lames étaient probablement empoisonnées. Aelyk l'avait échappé belle.

Il n'avait pas sursauté. Mais à présent, une foule d'émotions le submergeait.
Il était déçu. Il commençait à faire confiance à cette femme, et voilà qu'elle tentait de le tuer, sous prétexte qu'il était un vampire, comme elle lui avait hurlé. D'ailleurs, pourquoi semblait-elle haïr à ce point les vampires. Les seuls peuples qui leur vouaient une telle haine étaient les fées, et Lirana n'en avait aucunement l'air.
Il était en colère aussi. La réaction normale face à une agression.
Alors un dilemme se présenta à lui : devait-il encocher une nouvelle flèche et tuer Lirana, ou tenter de la raisonner ?

Comme elle était désarmée, Aelyk opta pour la deuxième solution. Il était toujours à temps de lui décocher un trait avant qu'elle ne soit sur lui.

"Lirana par les nymphes de la Dervaë calme-toi! ordonna t-il d'une voix forte. Tu vois bien que je ne suis pas un vampire ! Je ne suis pas blanc comme la neige, je n'ai pas sucé ton sang, et je n'ai pas d'ailes ! Comment voudrais-tu que je m'envole !"

Il remarqua que Lirana fixait intensément sa bouche. C'était donc ça. Elle avait repéré ses canines... Le vestige le plus visible de son héritage...

"D'accord, mes canines sont longues. Je ne vais pas te mentir, j'ai du sang vampire. Mais ce sang est ancien, et jamais je n'ai vécu parmi ce peuple. Alors, au nom du pacte par lequel nous sommes liés, reprends tes esprits"

Qu’Aelyk soit désarmé n’avait aucunement gêné Lirana dans son attaque. Et si l’homme épargna une contre-attaque directe pour cette raison, cela échappa totalement au démon qui ne s’embarrassait pas de ce genre de scrupules. L’attitude défensive, certes, mais passive de l'humain interloqua la créature bannie qui l’observa en plissant des yeux. Il aurait dû répliquer, qu’attendait-il ? Allait-il l’attaquer par magie sans esquisser le moindre geste ?
Ces idées qui passaient dans sa tête presqu’inconsciemment fendillèrent la mince coquille de folie qui obturait jusque là son raisonnement. La voix forte d’Aelyk acheva la fissure et presqu’aussi vite qu’elle était arrivé, sa folie s’éparpilla pour laisser les paroles de l’archer s’immiscer jusqu’à sa raison.

Il osait le nier ! Par tous ses frères en enfer, il osait lui mentir, ce chien !
Qu’est-ce qu’il croyait ce misérable ? Elle ne les avait pas rêvées ces canines !
Lirana n’obéit donc pas à l’ordre de son compagnon : elle ne se calma pas. Au contraire, la rage risquait à tout moment de revenir la submerger.
Ah, non ! Ca il n’en est pas question !
La jeune femme sembla hésiter à poursuivre son agression alors qu’en fait elle balançait juste entre laisser ou non à nouveau exploser sa rage. Le laps de temps pourtant court fut suffisant à l’homme pour reprendre son explication identitaire.
Et bien lui en fit.

« Ce n’est pas un pacte, juste un marché. » cracha Lirana de tout le mépris qui lui restait pour les peuples ailés ; auquel Aelyk n’appartenait donc pas.

Elle se redressa, les mains vides, et observa intensément son acolyte d’un regard perçant. Ses yeux noirs qui avaient légèrement brunis cherchaient à transpercer l’homme de l’ouest, à la recherche de sa vraie identité et d’ailes qui seraient cachées. Elle ne voyait évidemment rien de tout cela mais ses méninges tournaient à plein régime. Elle ne savait même pas pourquoi elle l’avait attaqué en fin de compte, ce type n’avait rien d’un vampire hormis deux dents pointues, et elle l’aurait repéré bien auparavant pour lui faire la peau s’il avait été de la race honnie.

« Y’a eu méprise. »

Si Aelyk attendait mieux comme excuses, il pouvait toujours courir jusqu’au Kazyuk !
Lirana attrapa le lapin et rentra au camp sans un regard de plus. Malgré sa colère elle prit garde à ne pas faire de nouvelles traces aux abords de leur campement. Elle embrocha la bête en un geste brutal et posa la broche improvisée sur les « tréteaux » de branches au dessus de l’âtre.

« Le poison disparait à la chaleur, on pourra manger sans crainte »

Elle avait lancé ça à Aelyk en s’asseyant au pied du cercle de pierre. Elle le devinait dans son dos et lui laissait le choix de tenter de se venger si l’envie lui en était venue ou de la rejoindre auprès de la bouffe. Si c’était dangereux de s’exposer ainsi à un comparse qu’elle venait elle-même d’agresser sans sommation, cela lui permit d’enflammer le bois sec d’une pensée rageuse et d’un regard rougeoyant.
Car le démon était toujours en colère. Mais contre elle-même.

La réaction de Lirana était plus qu'étrange. Elle agissait comme si rien n'était arrivé. Un déni stupéfiant.
Ceci dit, lui aussi était un peu désemparé, et ne savait pas vraiment comment réagir... Elle semblait calmée. Mais qui savait si elle n'allait pas recommencer ? Peut-être que ces sautes d'humeur étaient fréquentes. Après tout, il ne la connaissait que depuis quelques heures... Si jamais elle apercevait un renard aux pattes trop courtes, allait-elle se ruer sur lui en hurlant ?

Bon, il n'allait pas rester planté là toute la nuit, surtout qu'il avait faim. Lirana avait d'ailleurs allumé le feu et embroché le lapin pendant qu'il réfléchissait.
Il retourna vers le camp, contourna son acolyte et s'assit en face d'elle.
L'atmosphère était tendue -normal. Seuls le crépitement des flammes et le bruissement des feuilles brisaient le silence de la forêt. Ils auraient pu se regarder en chien de faïence, mais Lirana semblait éviter délibérément son regard, et gardait les yeux fixés sur le lapin qui rôtissait.

"Je prendrais le premier tour de garde" lâcha t-il.





Ils s'étaient levés tôt ce matin, et les yeux d'Aelyk avait eu du mal à s'ouvrir quand Lirana l'avait réveillé d'un "Debout" fort amical. Ils s'étaient hâtés de plier le camp et d'effacer toute trace de leur passage avant de se mettre en route vers la masure de la magicienne.
Ils s'étaient alors dissimulés à distance respectable, et avaient vu le groupe se mettre en route. Un groupe de trois d'ailleurs, ce qui sembla perturber Lirana. Elle lui révéla que la magicienne n'avait secouru que deux personnes, et pas cet étrange homme aux cheveux rouges.
Cependant, ces considérations n'étant pas essentielles, ils entreprirent de filer le trio qui s'engageait dans les bois.

Une bouffée d'adrénaline traversa les veines de l'archer. La chasse au Kazyuk commençait.